Sauver la liberté
Liberté est le mot qui aura cruellement manqué dans le discours global de cette campagne présidentielle.
Nos libertés à tous, notre liberté à chacun.
Et la liberté est ce qui risque de nous manquer pour très longtemps si, dimanche prochain, l’extrême droite est investie du pouvoir en France parce que la défection des abstentionnistes l’aura permis.
Le mot a manqué, oui, sans doute parce que la chose nous paraît acquise. Acquise à tout jamais. Or, s’il est dans la destinée collective un progrès fragile, c’est bien cette liberté, si dure à obtenir et si prompte à nous être retirée.
Comment pourrions-nous y renoncer si facilement, si étourdiment ?
Comment certains sont-ils prêts à prendre ce risque pour eux-mêmes, leurs proches et l’ensemble de leurs concitoyens ? Ils font le pari, assumé disent-ils, qu’Emmanuel Macron l’emportera sans leurs voix. Sur quoi se fondent-ils pour parier ainsi ? Les sondages ? Les mêmes approximations qui, voilà peu, aux Etats-Unis, donnaient Hillary Clinton gagnante, qui ont valu à nos amis américains une déconvenue atroce (et pas mal de remords, aussi, pour ceux qui s’étaient abstenus par dépit après la défaite de Bernie Sanders).
Les jeunes gens tentés par la roulette russe du ni-ni sont venus au monde dans une société qui accordait à l’individu des libertés fondamentales : celle de disposer de son corps avec le droit à la contraception et à l’avortement, celle d’aimer qui l’on voulait avec la dépénalisation de l’homosexualité, celle de circuler librement avec l’ouverture de l’Europe et la fin du Rideau de fer, une société qui, du moins sur le papier, condamnait les discriminations raciales et antisémites. À ces jeunes électeurs, nous disons de faire effort d’imagination, de se représenter ce qu’était le monde avant ça. Ce que serait, lundi prochain, leur monde sans tout ça.
Plus difficiles à comprendre, sur le plan humain comme sur le plan moral, sont ceux qui précisément ont vécu cette époque où la France avait pour voisins les dictateurs Franco et Salazar, où la junte des Colonels bâillonnait la Grèce. À ceux-là nous demandons de faire travailler leur mémoire. Car ils ont vu aussi de quoi était capable l’extrême droite française. Ils ne peuvent pas dire qu’ils ne savent pas. Qu’ils ne voient pas la différence entre un Emmanuel Macron et une Marine Le Pen. Peut-être même certains d’entre eux, honnêtes et sincères, se souviendront-ils de l’avoir essuyée jusque dans leurs os, cette extrême haine, à coups de barres à mine et de chaînes antivol : ceux qui, au lycée, à la fac ou dans la rue, ont subi les « expéditions punitives » de ces bandes cagoulées, siglées UNI et GUD, dont les meneurs, cachés aujourd’hui sous un masque de respectabilité, attendent leur rond de serviette à la table de l’Elysée.
Ne leur donnons pas les clés du palais, encore moins celles de l’arsenal. Violence et intimidation sont leur mode d’être. Ils parlent sans fin de terrorisme, mais la terreur c’est eux. C’est leur lit nourricier, leur biotope et leur logiciel tout ensemble.
La terreur c’est le règne qu’ils entendent instaurer.
Ce pays, notre pays, a fait de la liberté son credo premier. La liberté sans laquelle, rappelons-le au passage, ne seraient possibles ni l’égalité ni la fraternité.
Quand la liberté est en danger, on ne joue pas, on ne finasse pas.
Quand l’extrême droite pourrait l’emporter, on ne prend pas vapeur, on ne se défile pas dans des minauderies de rosière ni des arguties post-staliniennes. On ne se cache pas derrière l’hypocrisie d’un vote blanc qui ne comptera pas. On réaffirme qu’on est lucide, responsable, qu’on a le désir d’avancer et on agit avec ce qu’on a : son bulletin de vote. Son bulletin de vie.
Gilles Leroy.
Avec : Philippe Besson, Jonathan Littell, prix Goncourt, Mazarine Pingeot, Laurent Gaudé, prix Goncourt, Carole Zalberg, Camille Laurens, prix Femina, Arthur Dreyfus, Jean-Michel Maulpoix, Arnaud Cathrine, François-Henri Désérable.